Les dix commandements de la Bourse.

Eric Dadier
Administrateur de la FFCI Président de l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF)
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Les idées reçues, on le sait, ont la vie dure. Sur la Boursenotamment. La plupart des Français s'en font en effet une opinionfausse, déformée ou réductrice, le plus souvent parce que leurformation économique et financière est insuffisante pour qu'ilspuissent en saisir l'utilité et les subtilités. Une lacune que lesclubs d'investissement tentent de combler depuis quarante ans. Non sansun certain succès.

 

 

Casino pour les uns, temple de la spéculation pour les autres, la Bourse, lieu virtuel d'échanges reste, pour beaucoup, réservé aux riches et aux initiés, aux joueurs dans l'âme et aux gens cupides appâtés par les gains rapides. Il faut admettre qu'un gros travail de pédagogie reste à réaliser pour mieux en faire comprendre les mécanismes.

Contrairement aux croyances les plus tenaces, il n'est pas nécessaire d'être fortuné pour investir en Bourse. Beaucoup d'épargnants, jeunes et moins jeunes, peuvent en effet y faire leurs premiers pas avec des moyens limités, soit par le biais de sicav ou de fonds communs de placement à la portée de tout le monde, soit en participant à la vie d'un club d'investissement, véritable auto-école de la Bourse. Même la constitution d'un portefeuille géré en direct n'exige pas une mise de départ importante (une somme de 1 500 euros peut suffire dans un premier temps). Mais le placement en actions ne s'improvise pas : il doit s'apprendre, demande de la sagesse et de la patience. C'est une erreur de croire que l'on peut faire fructifier rapidement ses économies sans savoir comment fonctionne le marché, à quoi il sert, ni connaître les règles élémentaires en matière d'analyse et de gestion, ni même les risques auxquels on s'expose inévitablement. Compter simplement sur son flair ou encore sur les recommandations et autres « tuyaux » hâtivement glanés dans la presse financière ou auprès de personnes qui ne sont pas forcément les mieux informées est une gageure tout autant qu'une source permanente de déconvenues.

Tout placement boursier sérieux nécessite du sang-froid, de la méthode et de la réflexion. Il se juge sur la durée, et non en fonction des aléas du marché. Même les gestionnaires les plus expérimentés se méfient toujours des inspirations hâtives, guidées uniquement par l'environnement du moment.

Quiconque possède déjà des actions ou envisage d'en acquérir doit avoir en tête quelques règles simples qui peuvent être résumées sous forme de dix commandements dont le respect est indispensable pour se donner les meilleures chances de succès. En comptant sur le facteur temps.

I. Sélectionner son intermédiaire financier
Pour pouvoir opérer en Bourse, l'ouverture d'un compte-titres auprès d'un intermédiaire est indispensable. Banques, établissements financiers, sociétés de Bourse, brokers en ligne, la Poste, Caisses d'épargne... : les particuliers ont l'embarras du choix. Pour débuter, il ne sert à rien de se compliquer la tâche en faisant le tour de tous les établissements de la place, afin de comparer leurs tarifs et la qualité de leurs services. Mieux vaut privilégier la facilité en restant en terrain de connaissance, c'est-à-dire en ouvrant un compte-titres là où on dispose déjà d'un compte courant, à condition de s'y sentir en confiance et d'y avoir un interlocuteur compétent. Malheureusement, les agences bancaires sont loin d'être en pointe dans ce domaine. Mais les banques ont désormais des filiales de courtage sur Internet qui permettent de passer des ordres dans des conditions très intéressantes. Si le portefeuille grossit, il sera temps alors de faire jouer la concurrence et de penser à une gestion plus sophistiquée. Chaque chose en son temps.

II. Ne pas investir au-delà de ses moyens
Le principal attrait de la Bourse réside dans les perspectives de plus-values qu'elle offre. Mais toute médaille a son revers : le placement boursier est fatalement aléatoire et beaucoup plus risqué que d'autres ; en cas de coup dur, il faut pouvoir tenir, sans s'affoler. L'argent investi dans des valeurs à revenu variable doit absolument provenir d'un surplus d'épargne, nullement nécessaire à la satisfaction d'un besoin précis à une échéance plus ou moins rapprochée (le « ticket » mensuel moyen dans un club est de 65 euros par membre). Certains boursiers inexpérimentés commettent trop souvent l'erreur de « jouer » d'entrée de jeu une partie des ressources indispensable à leur train de vie quotidien, en pensant pouvoir se payer rapidement des « extra ». Las ! En cas de mauvais choix, ils seront vite obligés de se serrer la ceinture. D'autres se lancent prématurément dans des opérations aventureuses, via le service à règlement différé (SRD) ou les produits dérivés (bons de souscription, options, warrants...), tout excités par la perspective de grosses plus-values rapides pour une mise modeste. En oubliant que l'effet de levier sur lequel ils s'appuient fonctionne dans les deux sens et peut donc se retourner à tout moment contre eux. Les débutants qui agissent dans la précipitation en voulant « faire des coups » s'exposent aux pires désillusions et peuvent voir rapidement fondre « l'argent du ménage ». Au premier gros pépin, ils lâcheront prise sans avoir rien appris.

III. Concentrer ses efforts pour être efficace
Comme le dit l'adage, « il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Il n'empêche : se disperser sur un trop grand nombre de valeurs à la fois, c'est rendre son portefeuille ingérable, c'est multiplier inutilement les frais de transaction et les droits de garde et diluer les chances de gains. Il vaut mieux avoir à surveiller de près une dizaine d'entreprises, en prenant soin de constituer, pour chacune, des « lignes » d'un montant à peu près identique : par exemple, pour un capital investi de 15 000 euros, 1 500 euros d'actions par affaire sélectionnée. Les risques seront ainsi équitablement répartis.

IV. Savoir choisir
Sans doute est-ce là l'exercice le plus délicat. Le bon sens commande de s'intéresser d'abord aux actions d'entreprises que l'on connaît le mieux, dont on comprend l'activité et la stratégie, la confiance qu'elles inspirent reposant sur leur solidité financière malgré les aléas de la conjoncture, la qualité de leurs dirigeants et la fiabilité de leurs prévisions. Encore convient-il de ne pas payer les titres sélectionnés trop cher. Plusieurs critères d'appréciation permettent de se forger une opinion, certes subjective, du degré d'exposition aux risques, variable selon l'état du marché.


Les particuliers qui recherchent en priorité une rémunération correcte doivent bien entendu se soucier du montant du dividende qu'ils sont susceptibles d'encaisser. Et accorder une attention toute particulière au rendement (rapport entre le montant du dividende distribué et le cours de l'action). Plus ce rendement sera proche de celui des obligations à long terme, plus le cours sera a priori solide. Mais attention ! Une valeur dite de rendement ne mérite cette étiquette que si le dividende n'est pas menacé. A la différence d'une obligation à taux fixe, en effet, une action est une valeur à revenu variable, ce dernier pouvant tomber à zéro. Une entreprise qui distribue l'essentiel de ses bénéfices aura du mal à maintenir son dividende si ses résultats fléchissent. En revanche, les sociétés bien portantes qui mettent l'essentiel de leurs résultats en réserve ont beaucoup plus de latitude à augmenter régulièrement leur dividende, même si le rendement de leurs actions est plus faible.

Les investisseurs qui privilégient la plus-value devront faire leur choix parmi les actions représentatives de sociétés dont l'activité est en forte croissance ou qui disposent d'un gros potentiel de développement et qui préfèrent utiliser leurs résultats pour financer leurs investissements, quitte à n'assurer aucune rémunération à leurs actionnaires.

Autre critère d'appréciation couramment utilisé : le PER ou rapport cours/ bénéfice estimé par action. Les valeurs qui ont un PER sensiblement inférieur à la moyenne sont apparemment les plus attrayantes. A la condition toutefois que le bénéfice par action des sociétés concernées ne chute pas brutalement. Il est donc indispensable de tenir compte des perspectives de résultats pour juger si une valeur est chère ou bon marché. Le PER doit donc être manié avec beaucoup de précaution. D'autant que les estimations sur les profits des entreprises sont aléatoires et même parfois d'une fiabilité douteuse lorsque la visibilité est mauvaise.
Avant de passer à l'achat, on veillera encore à vérifier si l'endettement de la société est raisonnable ou non et à rapprocher ses fonds propres de sa capitalisation boursière. La sous-valorisation d'une affaire est flagrante si ses dettes financières sont faibles et si son actif net par action est largement supérieur à son cours de Bourse.

V. Diversifier ses risques
Un portefeuille d'actions ne doit pas être uniquement composé de valeurs à la mode (les modes passent très vite en Bourse !) ou spéculatives, sujettes à d'amples variations, à la baisse comme à la hausse. Pas question non plus de concentrer ses choix sur les titres d'un seul secteur économique ou d'une seule zone géographique. Par souci de sécurité, il ne faut jamais renoncer à la sacro-sainte règle de la diversification sectorielle et internationale, qui ne doit cependant pas conduire à la dispersion et au saupoudrage. Il va de soi que toutes les entreprises n'ont pas la même capacité de résistance à un ralentissement de l'activité économique ou à une récession. Par ailleurs, pour des portefeuilles d'une certaine taille, l'achat de titres étrangers libellés en devises réputées fortes ou susceptibles de s'apprécier face à l'euro ouvre la possibilité de réaliser des gains de change aux côtés d'éventuelles plus-values. Des acquisitions en direct sont cependant difficiles et coûteuses sur des marchés souvent lointains. Mieux vaut acheter des parts de fonds spécialisés ou des trackers, plus faciles d'accès.

VI. Apprendre à être mobile
Aucun placement boursier n'est, par définition, immuable. Chaque valeur détenue en portefeuille exige une surveillance attentive. Les circonstances peuvent à tout moment imposer des arbitrages et, parfois, des décisions douloureuses. Parce que « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras », il faut savoir prendre ses bénéfices. Inutile, en revanche, de s'entêter sur un titre dont le cours ne cesse de baisser, en se disant qu'il rebondira bien un jour. Beaucoup d'épargnants se sont ainsi ruinés en n'osant pas lâcher, dès leurs premières pertes, leurs titres Natixis, même si leur patience commence enfin à être récompensée.
Aujourd'hui, les marchés boursiers sont beaucoup plus volatils que dans le passé de sorte que la passivité ou l'absence de réactivité jouent souvent de très mauvais tours. Sans avoir à se transformer en opérateurs à court terme, encore moins en day traders, les actionnaires particuliers ont donc tout à gagner à être mobiles en intervenant plus fréquemment sur le marché, sous forme d'allègements de précaution pour sécuriser des plus-values en période de surchauffe ou, au contraire, de renforcement de positions en cas de baisse exagérée.

VII. Savoir anticiper
La plupart des débutants sont toujours déroutés de voir des cours fléchir parfois fortement le jour même de la publication de très bons résultats ou, à l'inverse, grimper malgré l'annonce d'une chute des bénéfices, voire des pertes. C'est que les marchés boursiers ne s'intéressent pas au passé, ni même au présent, mais s'efforcent en permanence de scruter l'avenir, d'anticiper le meilleur ou le pire. Sans utiliser le rétroviseur. Il suffit ainsi que les résultats annoncés, bien que de bonne facture, soient inférieurs aux prévisions ou que les perspectives apparaissent plus sombres pour que le cours d'une action amorce un mouvement de baisse durable. A contrario, la publication de très mauvais résultats mais supérieurs aux attentes peut provoquer un mouvement inverse si un redressement rapide des bénéfices paraît crédible. Il en est de même du sentiment des investisseurs sur l'évolution de la conjoncture, toujours en décalage avec la réalité présente.

VIII. Bien acheter
« Il faut acheter au son du canon », a-t-on coutume de rappeler. Dans la mémoire collective de la communauté financière internationale, cet adage est sans doute le plus ancien, le plus connu et le plus rentable. Mais, paradoxalement, on trouve peu d'investisseurs particuliers pour le mettre en pratique au bon moment. Il est vrai que, au début du mois de mars dernier, il fallait du courage pour acheter alors que l'effondrement des cours apparaissait sans fin. Le message est pourtant clair : il faut acheter quand tout va mal, car c'est alors que le pessimisme atteint son maximum et que les valorisations boursières deviennent ridiculement basses. Le risque d'une nouvelle baisse se trouve du même coup limité tandis que le potentiel de hausse s'est reconstitué et peut apparaître très important. En dehors des grands creux, il convient par ailleurs d'éviter de « courir » à tout prix après les titres que l'on convoite si leurs cours viennent de beaucoup monter, mais d'attendre une réaction qui interviendra inévitablement.

IX. Bien vendre
En Bourse, on a gagné de l'argent uniquement lorsque l'on a vendu. C'est une évidence. Ce que l'on appelle la plus-value est bien la différence entre le prix de vente d'un titre et son prix d'achat. Il n'existe pas d'investisseur qui ait fait fortune avec des « plus-values de papier ». La seule chose que l'on puisse se dire en faisant ses comptes et en évaluant son portefeuille c'est : « si j'avais vendu mes titres aujourd'hui, voilà la somme dont je pourrais disposer ». Pour ne pas laisser passer sa chance, il est donc toujours utile de s'imposer, pour chaque valeur détenue, un plafond d'espérance de gain, variable selon que le comportement du marché est porteur ou non. Il faut aussi savoir profiter d'un soudain accès de fièvre à la hausse pour alléger partiellement ses positions. Ne pas vendre au plus haut n'a de toute façon jamais été honteux. Comme disait un certain Rothschild, « nul n'est jamais mort pour avoir pris son bénéfice trop tôt ».

X. Garder un volant de liquidités
Un portefeuille investi à 100 % manque nécessairement de souplesse. Il convient de disposer en permanence d'une marge de manœuvre pour pouvoir saisir une opportunité sans être contraint de procéder à un arbitrage immédiat. L'importance de ce volant de liquidités variera en fonction de l'évolution de la tendance générale des marchés et des anticipations sur la croissance économique. Il est d'ailleurs simple de faire « travailler » temporairement ses liquidités dans des fonds monétaires (en excluant les « dynamiques ») qui, il est vrai, ne rapportent pas grand-chose actuellement mais ne présentent aucun risque de perte en capital. En cas de tourmente boursière, être liquide, c'est à coup sûr la meilleure manière de ne pas perdre d'argent. C'est aussi se donner les moyens d'aborder la période de hausse suivante avec le maximum d'atouts.

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Achevé de rédiger en novembre 2009