Les scissions ont de plus en plus la cote

 

Après deux années de vaches relativement maigres, les introductions en Bourse redémarrent fortement. En Asie surtout. En Europe et aux Etats-Unis, un phénomène retrouve la faveur des entreprises : les scissions.

 

La catastrophe qui a frappé le Japon enrayera-t-elle la reprise des introductions en Bourse constatée depuis 2010 et qui étaient en train d'accélérer sensiblement cette année ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais les états-majors doivent actuellement sérieusement réévaluer leurs options et préparer des scénarios alternatifs. Pourtant, l'année avait plutôt très bien commencée.  Dans son édition du 1er mars, le journal Les Echos évaluait à 26 milliards de dollars le montant des introductions en Bourse sur les deux premiers mois de l'année dans le monde. Un record depuis 2001 et 22 fois plus qu'en 2009 !

Seul - mais gros - bémol, près de la moitié des capitaux ainsi levés l'ont été sur le marché chinois, selon le World Federation of Exchanges, l'association qui regroupe 52 Bourses. Marché qui attire de plus en plus d'entreprises occidentales. On se souvient de l'introduction ô combien symbolique de l'Occitane en Provence sur la Bourse de Hong-Kong début 2010. A Paris, le démarrage est plus mou. Hormis Aperam, qui est en fait une scission qui ne se traduit donc pas par une levée de fonds (voir plus loin), les six premières introductions de l'année ont été réalisées soit sur Alternext soit sur le Marché Libre qui ne sont pas des marchés réglementés. Le mouvement devrait nettement s'accélérer dès le début du deuxième trimestre avec l'arrivée en Bourse de Canal +. Cette opération sera un véritable test de l'appétit des investisseurs et, en particuliers, des actionnaires individuels. Son succès, ou son échec, pourrait influencer le rythme des opérations suivantes. Chez NYSE Euronext, on s'attend à une vingtaine d'opérations à Paris (hors transferts) dont au moins six sur le marché réglementé. Parmi les dossiers les plus avancés, on retrouve Assurland , Tereos Internacional ou, quoique beaucoup plus problématique dans les circonstances actuelles, Areva. Pour la deuxième partie de l'année, on en est encore qu'aux conjectures avec un certain nombre de noms cités dans les salles de marché, tels Sagemcom, Louvre Hotels, Europcar ou TDF.

Le retour en force des scissions

Ces opérations sont par nature aléatoires et dépendent pour beaucoup des conditions de marché. On ne compte plus le nombre d'introduction qui ont dû être annulées ou reportées pour cause de mauvaise climatologie boursière. Ou de manque d'appétit des investisseurs, exemple l'annulation de la cotation de Lucien Barrière l'an dernier. Pas de risque de ce genre avec les scissions d'entreprises - les fameuses spin offs des boursiers anglo-saxons. Après les grands démantèlements de la fin du 20e siècle (AT&T, ITT, Eridania Beghin-Say...), elles étaient devenues plus rares ou concernaient des opérations de taille modeste. Par définition moins dépendantes des aléas de la Bourse, elles ont toutefois un inconvénient majeur pour la maison-mère : elles ne rapportent pas d'espèces sonnantes et trébuchantes puisqu'il s'agit ici de donner son indépendance à une filiale en distribuant des actions à ses actionnaires.

Mais pour les grands groupes, il s'agit de se séparer de certaines activités jugées non stratégiques pour créer une dynamique nouvelle. « Avec une demande toujours faible, mais des marges importantes, les entreprises cherchent de la croissance ailleurs. Pour ce faire, elles cèdent ou mettent en Bourse des actifs. Il s'agit généralement de petites sociétés, qui n'appartiennent plus à leur cœur de métier ou qui ne sont pas assez valorisées », expliquait Hervé Mangin, gérant chez Axa IM, à Reuters début février. L'objectif, désinvestir cette activité pour réinvestir le subside ailleurs, dans des acquisitions notamment, ou choyer leurs actionnaires. C'est ce qu'a fait Total avec Arkema en 2006, Accor avec Edenred l'année dernière et ArcelorMittal avec Aperam en janvier. C'est ce que prévoit de faire Sopra avec Axway au deuxième trimestre et ce que pourrait faire Saint-Gobain avec Verallia sa division d'emballage, fortement génératrice de cash, mais trop éloignée de son activité principale.

 

Créatrices de valeur

Séparées, les ex-filiales ont la réputation d'avoir un bien meilleur comportement boursier que celui de leur ancienne maison-mère. Du moins à court terme. C'est flagrant avec Edenred dont le cours a gagné environ 70 % dans les huit mois qui ont suivi sa mise en Bourse quand l'action Accor progressait de quelque 30 %. Même constat avec Arkema qui a pris elle aussi près de 70 % en cinq ans quand Total perdait plus de 20 %. Selon une récente étude d'UBS, depuis 2000 les sociétés scindées afficheraient en Bourse une surperformance de 16 %, sur un an, par rapport au marché européen. Les sociétés mères, elles, progresseraient de 8 % de plus que ce marché. Fin janvier, à peine les rumeurs sur Carrefour paraissaient-elles dans le Figaro, que l'entreprise affichait la plus forte hausse de CAC (+5,33 % après la publication du communiqué officiel). « Une scission permet d'apporter plus de clarté sur le business model et obtient donc souvent la faveur des investisseurs, selon Hervé Mangin. Ceci est d'autant plus vrai depuis le début de la crise, où les entreprises qui ont choisi de se spécialiser ont davantage la cote ».

Qu'est-ce qu'une scission ?
C'est l'opération par laquelle la société scindée transmet lors de sa dissolution l'ensemble de son patrimoine à deux sociétés ou plus, préexistantes ou nouvelles. Il s'agit donc de partager les différentes branches d'activités en entités autonomes et distinctes. La scission peut revêtir plusieurs formes avec chaque fois un mode de partage spécifique.

 

Scission-dissolution (split up)
La société scindée disparaît au moment de sa dissolution qui se produit sans liquidation pour laisser place à des entités distinctes. L'opération apparaît clairement sur ce schéma comme une dissolution (disparition) de la société mère (A) avec remise aux actionnaires des actions des filiales (B et C) regroupant l'ensemble des activités de la société disparue.
Scission-distribution (spin off)
La société scindée ne disparaît pas mais donne son indépendance à une filiale. La société mère (A) poursuit son activité dans les secteurs qu'elle a conservés. Les deux sociétés (A et B) sont détenues par les mêmes actionnaires, dans les mêmes proportions que ce qu'ils détenaient avant la scission. En pratique, la société mère distribue à ses actionnaires les actions qu'elle détient dans sa filiale sous forme de dividende.
Scission-échange (split off)
Elle consiste comme dans la scission- distribution à émanciper une filiale, mais en séparant les actionnaires. Ceux d'entre eux qui acceptent l'échange deviennent actionnaires de la filiale (et uniquement d'elle), ceux qui le refusent restent propriétaires de la seule société mère. La société mère (A) offre à ses actionnaires d'échanger l'ensemble de leurs actions contre celles de la filiale (B). Cette opération s'apparente à une offre publique de rachat d'actions (Opra) payée en actions d'une filiale et non en cash.
 

La fiscalité des scissions
Dans la scission-dissolution, l'actionnaire n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu. La fiscalité intervient seulement à la vente des actions reçues au titre des plus-values. Dans la scission-distribution, la fiscalité applicable dépend de l'obtention ou non d'un agrément délivré par Bercy avant le lancement de l'opération. Si l'agrément est obtenu, les titres attribués sont traités comme dans la scission dissolution au titre des plus-values à la revente. En l'absence d'agrément, les titres reçus sont considérés comme une distribution de revenus mobiliers. Ils s'ajoutent aux revenus de l'année à déclarer. La scission échange soumet automatiquement l'actionnaire au régime de l'impôt sur le revenu. Seule la partie représentative des bénéfices distribuables et des réserves est imposée (la partie représentative des apports

 Rédigé en mars 2011 par Aldo Sicurani