Les malheurs du sophisme

Eric Dadier
Administrateur de la FFCI
Président de l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF)
PHOTO ERIC DADIER

Les convictions des marchés sont changeantes. C'est que les interprétations à chaud des informations économiques et financières sont souvent trompeuses, quand elles ne sont pas complètement erronées. Ce qui contribue à alimenter la volatilité des cours de Bourse, objet de critiques virulentes mais aussi instrument de mesure fort utile de l'incertitude entourant la valorisation des actifs boursiers .

 

A vouloir tout expliquer et avoir réponse à tout, les professionnels des marchés financiers et les commentateurs qui leur servent de relais en viennent presque à oublier l'essentiel : la vérité n'appartient à personne et leurs convictions personnelles, au demeurant respectables lorsqu'elles sont sincères et désintéressées, beaucoup moins lorsqu'elles visent à manipuler les investisseurs les plus crédules, sont si disparates et versatiles qu'elles n'ont qu'une influence très éphémère sur le comportement des opérateurs. Si les marchés vivent au rythme des informations macro ou microéconomiques qui sont, avec les rumeurs, leur drogue quotidienne, leurs réactions, on le sait, sont impulsives au jour le jour et dépendent surtout de l'humeur ambiante du moment. Et, en pratique, on se rend bien compte que les opinions concernant les variations d'un indice ou d'une valeur sont à ce point contradictoires que, au même moment et avec les mêmes éléments d'information, il y a toujours des acheteurs qui croient à une hausse et des vendeurs à une baisse.

En poussant plus loin l'analyse, on observe que les convictions peuvent être des ennemis de la vérité plus dangereux encore que les mensonges. Il convient notamment de mettre en garde ceux qui se laissent trop volontiers guider par le consensus du marché en le prenant pour argent comptant tout en oubliant que les prévisions sont toujours aléatoires et que ce consensus n'est que la moyenne ou la médiane d'estimations souvent très disparates.

Restons lucides : si les marchés financiers sont abreuvés, chaque jour, d'informations nouvelles, les interprétations à chaud qu'elles suscitent sont souvent trompeuses, quand elles ne sont pas complètement erronées. Mais, après tout, peu importe : les indicateurs économiques ou encore les estimations de bénéfices par action et les objectifs de cours fixés par les cabinets d'analyse sont moins faits pour faciliter le travail d'anticipation des investisseurs que pour alimenter la volatilité des cours en même temps que des débats contradictoires sans lesquels les marchés auraient du mal à justifier leur existence.

Des chiffres américains peu fiables

Sur le plan macroéconomique, l'information jugée essentielle vient d'abord des Etats-Unis, en raison du poids de l'économie américaine, de son rôle de locomotive et de l'influence qu'elle exerce encore dans le monde malgré la spectaculaire montée en puissance de pays tels que la Chine, l'Inde ou le Brésil. C'est ainsi que les investisseurs attendent avec fébrilité, le premier vendredi de chaque mois, la publication des chiffres mensuels sur l'emploi américain. Pour que la mise en scène soit parfaite, on prend soin d'interroger préalablement un panel d'experts et d'en tirer un consensus. Si le résultat publié est conforme aux attentes, ce qui est rarement le cas, les marchés bronchent à peine. Mais s'il est supérieur ou inférieur au consensus, ils se mettent alors en branle, à la hausse ou à la baisse selon leur état d'esprit du moment. Sait-on pourtant que ces chiffres qui, chaque mois, mettent les investisseurs en transe sont si peu fiables qu'ils font régulièrement l'objet d'amples révisions un, voire deux mois plus tard ?

Pour prendre un exemple particulièrement frappant, certains se souviennent peut-être que, au début du mois de septembre 2007, soit au tout début de la crise financière, tous les indices boursiers avaient sérieusement accusé le coup à l'annonce que l'économie américaine avait enregistré, pour la première fois depuis quatre ans, des suppressions nettes de postes en août. Mais la peur d'une récession avait été très vite surmontée par l'espoir d'une baisse des taux de la Réserve fédérale. Un mois plus tard, début octobre, les marchés avaient appris que, au lieu d'une destruction de 4 000 postes, 89 000 emplois avaient finalement été créés en août, une évolution largement confirmée en septembre avec un solde positif de 110 000 postes supplémentaires. Du coup, le spectre d'une récession s'était provisoirement éloigné tout comme l'utilité d'une nouvelle détente des taux de la Fed américaine. On connaît malheureusement la suite, avec un taux de chômage qui aura doublé en moins de deux ans et un loyer de l'argent à court terme aujourd'hui proche de zéro !

Entretenue par le flot ininterrompu d'informations sujettes à caution, la volatilité des cours de Bourse fait l'objet de critiques virulentes chaque fois qu'elle augmente au-delà des normes habituelles, notamment en période de crise ou de grandes incertitudes. Lorsqu'elle est basse, personne n'en parle, sinon pour regretter qu'elle ne soit pas plus élevée. Comme les maisons de courtage, les opérateurs qui interviennent fréquemment sur les marchés peuvent difficilement s'en passer et ne se sentent guère à l'aise quant les séances sont rendues ennuyeuses par la modestie des variations de cours. Inutile toutefois de rêver à un juste milieu : la volatilité n'est pas une matière maîtrisable par un quelconque renforcement de la réglementation tant les facteurs ponctuels et structurels qui contribuent à son augmentation sont nombreux, complexes et variés. Elle dépend de l'humeur du marché dont le comportement cyclothymique est bien connu. Elle est également alimentée par l'hétérogénéité et l'instabilité des anticipations qui sont, par essence, aléatoires. Si elle s'élève, c'est que, entre autres, la fiabilité des prévisions économiques et financières laisse de plus en plus à désirer et les avis des experts très discordants. Incontrôlable, la volatilité a néanmoins une vertu : elle constitue un instrument de mesure fort utile de l'incertitude entourant la valorisation des actifs boursiers. Répétons-le : la volatilité a toujours fait partie intégrante des marchés financiers. Laissons donc les experts en débattre sans fin ni solution. Et continuons à vivre avec.

Achevé de rédigé le 7 octobre 2010.