La vérité ne sort pas des indices boursiers.

Eric Dadier
Administrateur de la FFCI Président de l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF)
PHOTO ERIC DADIER

Par rapport à son sommet historique du 4 septembre 2000, le CAC 40, principal baromètre de la Bourse de Paris, reste en baisse de 45 %, alors que la capitalisation globale des valeurs de son échantillon n'affiche qu'un repli de 25 %. Où est l'erreur ? .

Un indice de référence comme le CAC 40 est-il d'une fiabilité à toute épreuve ? Reproduit-il fidèlement l'évolution des cours des valeurs qui le composent et de leur capitalisation boursière ? De même que l'efficience des marchés financiers reste un sujet de réflexion voire de polémique, en même temps qu'un simple vœu pieux, celle des baromètres boursiers laisse à désirer au fil des années. La seule véritable fonction que l'on puisse leur reconnaître est de synthétiser en un chiffre unique les performances d'un échantillon de sociétés très disparates. Rien n'étant parfait, ces instruments de mesure des variations des cours reflètent aussi les imperfections de leur construction et de leur mode de calcul tout en portant les traces des changements qu'ils subissent de temps à autre. Vouloir comparer les performances du célèbre Dow Jones de la Bourse de New York, du DAX de Francfort et du CAC 40 de Paris est, par exemple, un exercice périlleux car les variations sont trompeuses. Fruit d'une simple somme arithmétique des cours des trente valeurs entrant dans sa composition, le Dow Jones a beau être toujours très respecté, sa fiabilité laisse sérieusement à désirer en raison de l'étroitesse de son échantillon et de l'archaïsme de son mode de calcul. Il a en effet la particularité d'être un indice non pondéré par les capitalisations boursières et le flottant à la différence des deux indices européens qui, eux-mêmes, ne sont pas calculés de la même façon : contrairement au CAC 40, le DAX prend en compte les dividendes versés par les sociétés en les supposant immédiatement réinvestis, ce qui lui donne un avantage indéniable sur la durée.

En englobant à lui seul les trois quarts de la capitalisation totale de la Bourse de Paris, le CAC 40 est par ailleurs nettement plus représentatif que son homologue américain, dont les trente membres ne couvrent que le quart de la valeur boursière de la Bourse de New York. Mais il n'est pas non plus exempt de tout reproche. On peut notamment s'étonner que, par rapport à son plus haut niveau absolu atteint le 4 septembre 2000 à 6.944,77 points, sa baisse atteigne encore 45 % neuf ans et demi après alors que la capitalisation globale des valeurs de son échantillon, passée entre-temps de 1.329 à 990 milliards d'euros, n'affiche qu'un repli de 25 %. Trois raisons majeures expliquent cette apparente incohérence.

Primo, l'effet cours très négatif est surtout la conséquence de la chute de plusieurs ex-mastodontes de la cote comme France Télécom, Alcatel-Lucent, ST Microelectronics, Vivendi ou encore Carrefour et Axa. Mais il a été partiellement amorti en près de dix ans par les nombreuses émissions d'actions nouvelles résultant notamment d'apports d'actifs, d'augmentations de capital en numéraire ouvertes au public ou réservées aux salariés, de conversions d'obligations en actions ou encore de levées d'options. L'exemple d'Alstom est particulièrement révélateur des illusions entretenues par les chiffres : en septembre 2000, le groupe valait 5,4 milliards d'euros. Il fut ensuite évincé du CAC 40 pour cause d'effondrement des cours et de quasi-faillite avant de mériter en 2006 son retour au sein de l'indice. Sa valorisation actuelle est de l'ordre de 14 milliards d'euros. Ce redressement spectaculaire, dû aux recapitalisations massives de sauvetage réalisées entre-temps, masque toutefois une cruelle réalité que les actionnaires de longue date du groupe n'ont toujours pas oublié : le cours d'Alstom ajusté des opérations sur le capital reste aujourd'hui encore 10 fois inférieur à celui de l'été 2000 !

Secundo, le mode de calcul de l'indice a lui-même changé puisque, depuis décembre 2003, seul le flottant, c'est-à-dire l'ensemble des actions à la disposition du public, librement négociables, est pris en compte comme critère de pondération. Autant dire que la capitalisation ainsi retenue peut être, dans certains cas, très inférieure à la valorisation totale. C'est particulièrement vrai pour EDF dont la pondération dans l'indice n'est que de 1,5 % en raison de la part prépondérante de l'Etat (84,4 % du capital) alors que, en valeur absolue, elle est de 7%.

Tertio, l'échantillon du CAC 40 a été sérieusement remanié depuis le sommet du 4 septembre 2000, puisque dix sociétés qui y figuraient alors (AGF, Aventis, Canal+, Casino, Crédit Lyonnais, Equant, Sodexo, TF1, Thomson et Valeo) en sont sorties pour cause de déclassement ou d'absorption. Ces dix groupes sont aujourd'hui remplacés par Arcelor-Mittal, Crédit Agricole, EDF, Essilor, Pernod Ricard, Suez Environnement, Technip, Vallourec, Veolia Environnement et Vinci. De tels arbitrages au profit de nouveaux poids lourds ont aussi servi d'amortisseur à la baisse de la capitalisation globale du CAC 40, même si les membres du conseil scientifique des indices, chargés de décider périodiquement des entrées et des sorties des valeurs, n'ont pas toujours eu la main heureuse, en particulier avec Orange, Thomson ou TF1.

Au-delà de ces imperfections que l'on retrouve dans tous les grands indices internationaux et qui jettent un doute sur la fiabilité de ces instruments de mesure à moyen et à long terme, un autre élément perturbateur vient en permanence biaiser leur évolution : l'effet de change. Pour ne prendre qu'un exemple, vu des pays de la zone dollar ou du Japon, le CAC 40 n'a pas la même allure que celle qu'il a réellement aux yeux des investisseurs de la zone euro, même sur une courte période. Ainsi, depuis le dernier creux du dollar début décembre 2009, la devise européenne s'est dépréciée de 9 % face au billet vert et de 8 % face au yen. Si, entre le 3 décembre 2009 et le 1er mars 2010, l'indice CAC 40 n'a pratiquement pas varié, sa performance reconvertie en dollar et en yen devient donc, sur cette période de trois mois, largement négative pour un investisseur américain ou un japonais. Comme quoi la vérité ne sort jamais des indices boursiers.

TABLEAU CLASSEMENT CAC40

Achevé de rédiger le 2 mars 2010