1969 - 2009 : Quarante ans de mutations.

 

Aldo Sicurani

Secrétaire général de la Fédération Française des Clubs d'Investissement.

PHOTO ALDO SICURANI

Quand, le 15 mai 1968, en pleine tourmente estudiantine, la Direction du Trésor évoque pour la première fois l'idée de clubs d'investissement à la française, nul n'imagine le succès qui leur est promis. A partir de la création de l'Association nationale des clubs d'investissement (ANCI) en 1969 et sous l'impulsion de quelques « illuminés », près de trois millions d'épargnants vont passer par cette auto-école de la Bourse.

« Lundi, j'achetai des actions,
Mardi, je gagnais des millions,
Mercredi, j'ornais mon ménage,
Jeudi, je pris un équipage,
Vendredi, je m'en fus au bal,
Et Samedi,... à l'hôpital. »

Cette « complainte des agioteurs » que chantaient les spéculateurs de la rue Qincampoix après l'écroulement du système de Law, il y a près de trois siècles, illustre parfaitement l'image que nos concitoyens ont encore de la Bourse : celle d'un casino où les fortunes se défont aussi rapidement qu'elles se bâtissent. Le principe des clubs d'investissement, né aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle et institutionnalisé en 1951, repose sur quatre convictions fondamentales. La première tient la Bourse pour un marché de valeurs mobilières, outil stratégique de financement des entreprises. La deuxième veut que toute stratégie de constitution d'un portefeuille se construise dans la durée. La troisième met en valeur l'éducation financière et l'autonomie de l'épargnant. Celui-ci, plutôt que de confier à des spécialistes la gestion de son patrimoine, prend en main la responsabilité de la gestion ou en assure à tout le moins le contrôle. La quatrième repose sur une mise en commun de l'effort intellectuel et financier qui doit se poursuivre sans relâche pendant toute la durée de vie du club ; pour son plus grand bénéfice mais aussi pour celui de ses membres qui sont par ailleurs des épargnants à titre personnel.

De 140 à 1 400 milliards !

Quarante ans après, on a du mal à concevoir ce qu'étaient les marchés financiers en France au moment où l'ANCI déposait ses statuts et fédérait les premiers clubs. La capitalisation de la Bourse de Paris (et de celles de province) ne représentait qu'à peine 17 % du PIB du pays, soit quelque 140 milliards d'euros d'aujourd'hui. Le petit million d'actionnaires individuels n'avait qu'un choix relativement restreint de valeurs dont seule une quinzaine à peine avait une capitalisation supérieure à 1 milliard d'euros d'aujourd'hui. Avec parmi les plus importantes : Aquitaine, Rhône-Poulenc, St-Gobain, Péchiney, Michelin, la Française des pétroles, L'Air Liquide, Ugine-Kuhlmann, la CGE, Suez et Paribas. Beaucoup seront nationalisées en 1981 et iront rejoindre un secteur public déjà pléthorique (électricité, gaz, les grandes banques, postes et télécoms...) auquel le petit épargnant n'a pas accès. Du coup, des mines d'or sud-africaines à AT&T et IBM, en passant par Unilever, Royal Dutch et Ito Yokado, les portefeuilles sont beaucoup plus internationaux qu'aujourd'hui.

Dans ce contexte peu favorable où le petit porteur est isolé et perdu, les clubs d'investissement connaissent un succès inattendu grâce au soutien de bonnes fées qui en ont immédiatement compris l'intérêt. Issus des banques ou des charges d'agent de change, ils sont environ 2 000 à la fin de 1974. Déjà dès les premières enquêtes effectuées auprès des clubs en collaboration avec la Commission des Opérations de Bourse (COB), des constances se dégagent qui n'ont pas ou peu changé depuis.

Les privatisations et la révolution technologique vont profondément bouleverser le paysage. L'arrivée massive d'actionnaires individuels (1,7 million en 1982 et 6,2 millions en 1987) va logiquement faire exploser la demande en formation et éducation financière qui va profiter aux clubs d'investissement. Malgré le krach de 1987, leur nombre va littéralement s'envoler passant de 4 000 en 1988 à plus de 16 000 en 2000, année où la capitalisation boursière de Paris dépasse les 1 400 milliards d'euros. Au tournant du siècle, les clubs et de leur Fédération étaient de loin le premier mouvement organisé d'actionnaires individuels actifs en France.

 Deux krachs et Internet

Ils le sont toujours aujourd'hui mais ils sont confrontés à des défis inédits. L'éclatement de la bulle Internet, en 2000-2002, et de la bulle financière, en 2007-2008 a eu un impact profond sur la dynamique de développement de l'actionnariat individuel et sur son comportement. Les moins formés, ceux qui étaient souvent arrivés en Bourse sur le tard espérant surfer sur la vague, ont été les plus touchés. Beaucoup, souvent des jeunes, sont perdus pour l'investissement en actions en direct. De plus, l'environnement financier s'est profondément transformé et l'offre des banques et des assurances s'est considérablement diversifiée. L'actionnaire individuel et le club sont devenus beaucoup moins intéressants pour l'intermédiaire financier de masse plus versé dans le prêt-à-porter que dans le sur mesure.

Parallèlement, le développement d'Internet et la généralisation de son usage dans toutes les couches de la population ont bouleversé l'investissement en Bourse. Avec à sa disposition plus d'outils et un accès à l'information plus large qu'un professionnel il y a quinze ans, l'épargnant devient acteur et peut avoir parfois l'illusion qu'il maîtrise les arcanes du marché, comme on le voit, hélas, trop souvent dans les forums boursiers.

Or il n'en est rien et l'expérience le démontre : même en période de turbulence, de crises et d'incertitudes de tous ordre, le club d'investissement maintient sa crédibilité et son utilité. Il existe toujours une demande importante, permanente et solvable d'adhésion à un club. La FFCI compte d'ailleurs dans ses bases de données quelque 25 000 candidatures non satisfaites. De quoi potentiellement créer environ 2 000 clubs, soit un encours de près de 200 millions d'euros. Des chiffres dont devraient se souvenir la plupart des grands réseaux bancaires. Pouvoirs publics et intermédiaires financiers ne peuvent pas à la fois prôner une meilleure connaissance économique et boursière des particuliers, les solliciter de façon parfois agressive à l'occasion de telle ouverture de capital ou de telle opération obligataire et afficher une certaine indifférence pour les clubs d'investissement, noyau stable et fidèle des actionnaires individuels. Les sociétés cotées et les médias l'ont bien compris qui demeurent un soutien crucial de l'action de la Fédération.

En 1994, à l'occasion de la célébration des 25 ans des clubs, Claude Vallon, qui fut longtemps Président de la FNACI, écrivait : « C'est à la fois un bilan de réussite exemplaire que nous pouvons dresser mais aussi le souhait pour la pérennité d'un mouvement qui ne demande qu'à se développer, d'une dynamisation rapide de tous les intervenants en charge de la collecte de l'épargne, des autorités de marché, des sociétés cotées et des médias. Tous ensemble nous devons nous organiser pour aider ceux qui veulent être les bons élèves de l'épargne à travers l'appartenance à un club d'investissement. » Un constat et un appel toujours d'actualité quinze ans plus tard et que nous renouvelons.

Panorama des clubs

Aujourd'hui, avec un peu plus de 13 000 clubs regroupant quelque 160 000 particuliers, les clubs d'investissement restent un mouvement vivant et actif qui n'a rien perdu de sa séduction même s'il ne peut compter aujourd'hui pratiquement que sur sa propre dynamique pour se développer.

Si à travers toutes les enquêtes qui ont été réalisées au fil des années de nombreuses constantes se dégagent, les évolutions que nous avons décrites précédemment et les ajustement réglementaires ont eu un impact non négligeable sur certaines de leurs caractéristiques.

Quel âge ont-ils ?

Soyons clairs : les clubs d'investissement comme les clubistes ne sont plus aussi jeunes qu'au début. Certes, il se crée des clubs tous les jours et la formule attire tous les âges et toutes les conditions sociales. Mais le gros bataillon des clubs existants (56 % précisément) a été formé entre 1999 et 2001 ce qui a considérablement augmenté leur moyenne d'âge qui atteint aujourd'hui près de sept ans contre cinq en 2003.

Il en va de même pour les clubistes qui sont plus âgés que les actionnaires en général. Si les plus de 55 ans ne représentent qu'un tiers de la population française, ils constituent en revanche 43,4 % des détenteurs d'actions à titre individuel. Or, plus de la moitié des clubistes appartiennent à cette tranche d'âge. Parallèlement, les moins de 35 ans sont sous représentés : 19 % de l'actionnariat mais 11,4 % seulement des clubistes. Entre 2000 et 2008, les clubs ont assisté à un fort accroissement des clubistes de plus de 55 ans (+ 40 %), au détriment essentiellement des 18/34 ans (- 50 %) et, dans une moindre mesure, des 35/54 ans (- 15 %). Une situation radicalement différente de celle qui prévalait au départ. Ainsi en 1977, les clubistes étaient sensiblement plus jeunes que les détenteurs de compte titres (67 % avaient entre 20 et 49 ans) et la proportion de femmes y était sensiblement plus élevée qu'aujourd'hui (37 % contre 25 %).

Qui sont-ils ?

Les clubistes font partie de catégories socioprofessionnelles très diverses. Si une petite majorité est dans la vie active, la catégorie la plus représentée demeure celle des « inactifs » (près de 50 % contre 22 % à peine il y a en 1982), en outre son poids a le plus fortement augmenté depuis 2000 (+ 32 %). Ce phénomène n'est guère surprenant compte tenu de l'analyse par âge des clubistes. Tout d'abord, les personnes de plus de 55 ans détiennent souvent un portefeuille plus conséquent que celles qui entrent dans la vie active. Elles se trouvent dès lors plus motivées pour apprendre à gérer leur portefeuille. Par ailleurs, ces personnes ont plus de temps pour s'investir dans des clubs. Enfin, la finance est un domaine complexe, en perpétuelle mutation. Ainsi, le cadre pédagogique que confère la formule des clubs d'investissement est très adapté aux personnes plus âgées, souhaitant s'imprégner des outils modernes dans leur gestion quotidienne, en toute sécurité et dans un cadre convivial.

Les « cadres supérieurs, professions libérales » ou « cadres moyens, techniciens, agents de maîtrise » sont deux autres catégories bien représentées au sein des clubs d'investissement : elles correspondent chacune à 17 % des clubistes. Les « étudiants » sont en net recul par rapport à 2000, leur poids a diminué de 65 % et ne s'élève plus qu'à 3 %. Nicolas Arbus, trésorier d'Odyssee Finances explique que son club « a un profil plutôt varié, puisque l'âge des membres va de 25 à 84 ans. Toutes les catégories sociales y sont donc représentés (retraités, actifs), chacun venant d'un secteur professionnel différent ».

 Plusieurs facteurs favorisent la participation à un club d'investissement. Les relations personnelles ou réseaux d'anciens élèves constituent le premier facteur d'adhésion. Mais c'est de plus en plus le cercle professionnel qui permet aux particuliers de constituer un club (26 %). Ensuite, 20 % des membres se sont rencontrés par le biais d'un intermédiaire financier. C'est d'ailleurs dans les banques que l'on retrouve les clubs aux profils les plus diversifiés. Ainsi, à la Société Générale qui revendique plus de 1 200 clubs, « tous les types de profils, des retraités en passant par les actifs et les étudiants sont représentés, » déclare Brigitte Enot, qui coordonne cette activité au siège. Enfin, pour 7,4 % des clubistes, c'est en famille que l'activité au sein du club s'est développée.

Où vivent-ils ?

Le club d'investissement est un phénomène essentiellement urbain. En effet, ils restent concentrés dans les agglomérations comprenant plus de 50 000 habitants (50 % d'entre eux) et dans les villes petites et moyennes comprenant entre 5 000 et 50 000 habitants (près d'un tiers). Ces quinze dernières années, le poids des grandes villes (plus de 200 000 habitants) s'est considérablement accru au détriment des petites villes et des zones rurales. La région parisienne et, dans une moindre mesure, l'Est sont surreprésentés par rapport à leur poids respectif dans la population française et l'actionnariat.
 
Distribution Géographique  
  20071977
 Ile de France 29 %  34 %
 Bassin parisien    14 %   9 %
 Rhône-Alpes    12 %  11 %
 La Méditerranée          11 %   11 %
Ouest  11 %  7 %
 Est  10 %  12 %
Sud-ouest    8 %  8 %
Nord    5 %  8 %
                               
S'il fallait dessiner les contours du club type, il aurait été créé en 2001, serait composé de 13 membres (dont trois femmes) qui versent chacun 65 euros par mois (une somme remarquablement constante depuis 40 ans), aurait un portefeuille d'environ 100 000 euros répartis sur une quinzaine de lignes. Ces dernières seraient quasi exclusivement composées d'actions cotées sur Euronext Paris avec sur le podium : Air Liquide, Vinci et Alstom.

Ces quinze dernières années, les portefeuilles des clubs ont connu une croissance spectaculaire à cause de la forte hausse des marchés actions et malgré deux coups de tabac importants en 2001-2003 et en 2007-2008. Le portefeuille moyen a été ainsi multiplié par plus de quatre depuis 1993, passant de 21 000 euros à près de 90 000 euros. Cette performance est d'environ 25 % supérieure à celle du CAC 40 sur la période lorsque l'on réintègre les dividendes dans le calcul de l'indice parisien. Il n'y a rien d'étonnant à cela quand on se rappelle que le club évite de commettre les trois péchés capitaux du petit épargnant : il ne cesse jamais son effort d'investissement, il ne sort pas du marché dans les périodes de baisse et il réinvestit toujours ses dividendes.

Comment investissent-ils ?

Si le portefeuille moyen des clubs d'investissement a considérablement augmenté ces dernières années les variations chaotiques des marchés étant compensées par les versements réguliers des clubistes, la structure des portefeuilles reste à peu près constante. Les clubs respectent bien l'adage : « diversifiez-vous sans pour autant vous disperser » ! En effet, environ 60 % des portefeuilles ont entre 10 et 19 lignes quasiment exclusivement composées de grandes valeurs cotées sur le compartiment parisien de NYSE Euronext. Alors qu'en 1974, le portefeuille moyen contenait 20 % de valeurs étrangères, le départ de la plupart d'entre-elles de la cote parisienne a rendu leur présence marginale. Certes, il n'est pas rare que les clubs s'essaient aux warrants ou utilisent les trackers pour diversifier les risques ou tenter les marchés étrangers de manière moins onéreuse. Mais d'une manière générale, les clubs font dans la sécurité de bon aloi.

Les 15 principales lignes en portefeuille (octobre 2009)

  • Air Liquide
  • Vinci
  • Alstom
  • Total
  • AXA
  • France Télécom
  • LVMH
  • Stallergènes
  • Sanofi-aventis
  • St-Gobain
  • GDF Suez
  • EDF
  • Danone
  • Vivendi
  • Maurel & Prom

Achevé de rédiger en novembre 2009 par Aldo Sicurani, Secrétaire général de la FFCI