Forums boursiers : info ou intox ?

Eric Dadier
Administrateur de la FFCI Président de l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF)
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L'extrême liberté qui règne sur le Web fait que le meilleur et le pire s'y côtoient. Les forums de discussion sur les marchés et les valeurs sont devenus peu fréquentables, pollués, dévoyés. Mais personne n'ose faire le ménage.

Toute médaille a son revers. Grâce à Internet, chacun peut suivre aujourd'hui en temps presque réel et bien au chaud chez soi les cours de Bourse du monde entier, passer des ordres, s'informer, naviguer d'un site à l'autre, s'exprimer, dialoguer en toute liberté. L'accès instantané et quasi-gratuit de tous à l'information a représenté un formidable progrès censé contribuer à améliorer la transparence. C'est indéniable : les investisseurs particuliers sont désormais mieux outillés pour prendre des décisions rationnelles et optimiser leurs choix. Mais l'abondance et la prolifération des informations colportées par Internet rendent d'autant plus difficile le processus de fiabilisation de ces informations, surtout lorsqu'elles ne comportent pas de source ni de date.

N'importe qui peut être à la fois victime et vecteur, même en toute bonne foi, d'informations fausses ou de désinformation. Autrement dit, l'extrême liberté qui règne sur le Web fait que le meilleur et le pire s'y côtoient. Distinguer le vrai du faux, vérifier que les sources sont fiables quand elles existent ou que le contenu d'un document n'a pas été intentionnellement altéré est en outre un exercice particulièrement délicat qui demande du temps et de la patience. Or les internautes boursiers sont trop pressés pour prendre la peine de contrôler la qualité de tout ce qu'ils absorbent. Bombardés d'informations rarement pertinentes, ils vivent en permanence entre vérité et mensonge. Donc dangereusement. Les dérapages les plus sérieux peuvent être constatés sur les forums boursiers qui ont pourtant tout pour plaire a priori. Leur principal mérite est de faciliter les discussions, les échanges d'informations et d'idées. Ces espaces de liberté peu ou mal contrôlée sont malheureusement devenus des lieux peu fréquentables, pollués, dévoyés. Passons sur la manière dont la plupart des messages sont rédigés, sans aucun respect de la grammaire et de l'orthographe. De quoi horrifier les  associations de défense de la langue française ! Plus grave est le fait qu'un certain nombre de membres actifs de ces forums n'hésitent pas à s'injurier entre eux ou à se répandre en invectives contre tel groupe ou ses dirigeants, simplement parce que l'évolution du cours de Bourse ne correspond pas à leur souhait. Le titre est alors systématiquement qualifié de «daube», ce qui, on en conviendra, ne contribue pas à élever le débat.

Si la forme laisse sérieusement à désirer, le fond est rarement plus ragoûtant. Au lieu d'y découvrir des informations originales, des dialogues sérieux et constructifs entre membres ou même des critiques étayées et bien senties destinées à titiller les dirigeants des groupes cotés les plus contestés,

le visiteur d'un forum est très vite frappé par la pauvreté et la faible valeur ajoutée du contenu et des arguments fournis. C'est aussi le règne du chacun pour soi. La plupart des «forumistes» n'interviennent que dans l'espoir de servir d'abord leur intérêt personnel, en cherchant à jouer de la naïveté des autres. On ne s'étonnera pas que les valeurs dont la volatilité est la plus forte soient les plus exposées aux fausses rumeurs, aux informations bidonnées, aux manipulations de cours ou aux opérations d'intoxication. On ne s'étonnera pas davantage que les forums boursiers, très peu fréquentés par les investisseurs à long terme qui ont de bonnes raisons de s'en méfier, soient en revanche presque exclusivement animés par des opérateurs à court terme et autres day traders qui n'ont qu'un objectif en tête : réaliser des plus-values le plus rapidement possible. Pour eux, tous les moyens sont bons pour y parvenir.

Mais leur impatience les pousse aux excès ou au ridicule. Par exemple quand un vendeur à découvert communément appelé « vadeur », agite la peur en affirmant le plus sérieusement du monde que tel titre n'a pas fini de plonger sans apporter le moindre élément pour étayer sa prévision. Ou encore quand ceux, qui s'adonnent à l'analyse technique sans en connaître les subtilités ont le culot d'assortir leur diagnostic vaseux de recommandations et d'objectifs de cours conformes, comme par hasard, à leur désir.  On le voit, les forums ne sont guère crédibles. Un grand ménage devrait s'imposer. Mais personne n'ose sortir le balai.

Note de l'auteur : publiée dans la Vie Financière du 6 octobre 2006, cette chronique a provoqué à l'époque des réactions tout à fait inattendues. Des internautes ont cru bon de la reproduire sur différents forums sensibles en l'assortissant de commentaires tantôt agréables, tantôt déplaisants, voire injurieux. Un petit malin, sans doute vexé par l'allusion faite au non respect de la grammaire et de l'orthographe, s'est même permis de « corriger » le texte en le truffant de fautes pour bien montrer que l'auteur « donneur de leçons » ne savait pas écrire. La vérité n'est pas toujours bonne à dire. Dix-huit mois après, cette chronique n'a malheureusement pas pris une ride. Et le ménage n'est toujours pas fait.