Faut-il avoir peur des Agences de notation ?
Gérard Ampeau, Responsable des programmes, Ecole de la Bourse
Souvent décriées, rarement encensées, les agences de notation font l'objet de bien des phantasmes. Si l'on peut légitimement s'interroger sur certains aspects de leur fonctionnement, elles n'en jouent pas moins un rôle irremplaçable pour un investisseur qui cherche à évaluer le risque de solvabilité.
La dégradation de la note des Etats-Unis par l'agence Standard & Poor's, le vendredi 5 août 2011, a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Une première historique qui n'a pas manqué d'attiser le climat de crise mondiale sur fond de panique boursière liée aux craintes de rechute de la croissance économique et à la situation financière de la zone euro. Cet épisode ne fait qu'illustrer ce que rapportait déjà un économiste américain dans les années 1970 lorsqu'il déclarait : « il existe seulement deux puissances capables de détruire l'économie d'un pays : l'aviation US sous un tapis de bombes ... et Moody's en dégradant sa notation ». De la Grèce au Portugal, en passant par l'Irlande, l'Espagne et l'Italie, nombreux sont les Etats à susciter la méfiance des marchés qui se traduit par une révision à la baisse de leur notation financière. Mais qu'est-ce que cela veut dire exactement ? Nous chercherons à travers cet article à expliquer ce qu'est une agence de notation ainsi qu'une notation financière et aussi à comprendre pourquoi les agences ont acquis aujourd'hui une telle puissance à l'égard des entreprises et des Etats. Une agence de notation (ou de rating) est un organisme spécialisé dans la mesure du risque de solvabilité (de non remboursement ou du défaut) d'un emprunteur public ou privé. Les trois principales agences ont une couverture mondiale et détenaient, en 2009, 96 % du marché de la notation (source AMF, voir tableau ci-dessous). Les agences de notation sont « indépendantes » afin de se démarquer des autres diffuseurs d'informations et de crédibiliser l'opinion qu'elles émettent. Elles peuvent être cotées ou contrôlées par des groupes de presse ou des holdings. Répartition de l'activité des Agende notation en 2009 (nombre de notes attribuées par catégorie d'émetteurs) Les spécificités de la notation financière. En premier lieu évoquons la nature juridique de la note : il s'agit d'une opinion rendue publique. C'est ainsi que toute attribution ou changement de note s'accompagne d'un communiqué de presse et d'un rapport circonstancié. Il faut bien comprendre que la notation n'est pas seulement une appréciation de la qualité du management, d'une situation financière ou d'un positionnement concurrentiel. Elle intègre également des critères étrangers à l'entreprise (évolution géopolitique). Si l'opinion est publique, les éléments qui ont permis de la bâtir ne le sont pas forcément. Les analystes des agences ont souvent accès à des informations confidentielles qui leur confèrent un statut d'initié et à leurs opinions une valeur particulière. Il convient de distinguer :
Il existe trois principes fondamentaux qui sont à la base de la création des agences.
Le modèle économique des agences a évolué avec le temps passant du modèle de diffusion des opinions émises par abonnement à celui où les émetteurs paient directement les agences pour être noté (voir tableau ci-dessous).
Le modèle économique actuel peut s'illustrer par le schéma ci-dessous :
Le statut NRSRO C'est l'organisme américain de régulation des marchés, la Securities and Exchange Commission (SEC), qui accorde seule le statut de NRSRO - Nationally Recognized Statistical Rating Organization. Aux Etats-Unis, la SEC accrédite les agences de notation pouvant noter les émetteurs. Ce statut est une reconnaissance conférée par les investisseurs sur le marché américain. La SEC a vérifié que l'organisation des agences, leurs ressources financières, leur indépendance vis-à-vis des sociétés cotées, l'accès aux informations, leurs procédures de notation et le respect de la confidentialité étaient aux normes. Aux Etats-Unis ce sont actuellement dix agences qui ont le statut de NRSRO. Il s'agit de :
Le processus de notation d'un Etat Chaque banque centrale verse plusieurs dizaines de milliers de dollars annuels pour qu'une agence apprécie la situation du pays. En pratique, les Agences missionnent des analystes qui se rendent sur place pendant quelques jours. Les personnalités auditées par la mission sont systématiquement les ministres des Finances et celui du commerce extérieur, ainsi que le gouverneur de la banque centrale. Les ambassadeurs des grands pays sont également interviewés, tout comme les principaux banquiers et acteurs du secteur privé. Pour un pays émergent se rajoutent le représentant du FMI et ceux des principaux bailleurs de fonds. Une synthèse de ce travail est présentée devant un comité réunissant d'autres analystes spécialisés. La note est ensuite arrêtée. Puis elle est communiquée au gouvernement intéressé, avant d'être rendue publique (Voir schéma ci-dessous).
La méthode d'évaluation du risque souverain par Fitch : Quels sont les points examinés ? Les finances publiques externes Les fondamentaux économiques Flexibilité recettes et dépenses Niveau richesse diversification économique Dynamique de la dette Environnement des affaires et attractivité Structure et gestion de la dette Stabilité et croissance macroéconomique Historique du service de la dette Evolution de la croissance économique Flexibilité financière Secteur financier Qualité de la statistique publique Sensibilité aux chocs exogènes Politique macro économique Situation politique et sociale Antécédents en matière de stabilité Capacité institutionnelle Prévisibilité et transparence Stabilité politique et sociale Capacité à réagir aux chocs Relations internationales Les notations sont-elles fiables ? Un constat s'impose, celui de mauvaises anticipations dans les cas suivants :
Les agences en conflit d'intérêt. Les agences ont développé parallèlement à leurs activités de notation du conseil en matière de titrisation de créances auprès des établissements bancaires ainsi que la notation des véhicules de titrisation. Ces activités sont devenues très importantes allant jusqu'à représenter plus de 50 % de leur chiffre d'affaires. Le retard pris par les agences pour tenir compte de la crise du « subprime » aux Etats-Unis en maintenant la notation AAA de nombreux Fonds Communs de Créances et produits structurés liés à l'immobilier, tout comme les hypothèses erronées de certains systèmes de notation (« le prix des maisons est en constante progression ») ont contribué à tromper les investisseurs. Certains, tel le fonds de pension CALPERS des fonctionnaires californiens, ont décidé de porter plainte contre les agences.
Le résultat a été un nombre de dégradations jamais enregistré dans l'histoire des agences. On pourra en juger en se reportant au schéma paru dans un récent rapport de l'AMF consacré aux agences de notation (ci-dessus).
Une importance sans cesse grandissante Lorsque l'on s'interroge sur les raisons de l'importance grandissante du rôle des agences, il est possible d'émettre deux hypothèses : Première hypothèse, ces dernières années la mondialisation de la finance a conduit à :
La seconde hypothèse fait intervenir la notion de « paradoxe de la notation ». Sans dédouaner complètement les agences de leur implication dans le déclenchement de la récente crise, elle éclaire d'un jour nouveau la responsabilité des Etats et des régulateurs qui ont cédé aux sirènes de la privatisation en transformant un bien public - la notation - en une marchandise. La notation est un bien public... qui recherche une allocation optimale des ressources financières. Cette information qui est destinée en priorité aux gros investisseurs, contribue également à la surveillance des risques bancaires (pour Bâle II, les notations des agences permettaient de déterminer le niveau des fonds propres) et fournit une information aux marchés financiers. Le statut de NRSRO renforce l'aspect institutionnel des agences et l'importance que les acteurs accordent à leurs opinions. Pour autant cette notation est élaborée par des organismes privés... jusqu'ici sans réel contrôle de leur activité, utilisant des techniques de communication que ne renieraient pas les agences du même nom, dont les rémunérations semblent élevées et les méthodes d'évaluation peu transparentes. Trois agences, qui plus est, constituées en oligopole, dominent outrageusement le marché et les médias. Vers une régulation des agences de notation L'importance de la crise financière de 2008 et ses conséquences économiques et sociales ont conduit les Etats à s'interroger sur la qualité du travail effectué par les agences et sur l'importance de leur rôle dans les marchés de capitaux. Tant aux Etats-Unis (surtout après leur dégradation qu'ils contestent vigoureusement) qu'en Europe, une régulation des agences est créée afin d'empêcher à l'avenir les conflits d'intérêt (séparation des activités de conseil et de notation), de mettre en place un contrôle interne (évaluation des modèles de notation), de rendre obligatoire la publication d'un rapport évaluant la qualité des notations réalisées. Des inspections « surprises » sur site ainsi que des sanctions pouvant aller jusqu'au pénal sont également prévues. Cette mission d'évaluation de l'activité des agences sur le territoire européen est la première confiée par l'Union Européenne à la toute nouvelle Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF / ESMA).
Rappel historique : la saga de Moody's et S&P.
Achevé de rédigé en octobre 2011
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